Cette prose, datée du 23 Avril 2016, écrite pour partie devant guéridon à la terrasse du très regretté Florida (bientôt...), haut lieu toulousain s'il en est en la matière, a pris un caractère d'actualité qu'on ne soupçonnait pas alors...et mérite peut-être réactualisation en ces temps qui sont...ce qu'ils sont.
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Garçon, un "Perrier-tranche"
À Philippe Delerm
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LePerrier-tranche ne se boit pas, et se savoure moins encore, tant il est avare d'arôme et d'enthousiasme buccal : le prestige est ailleurs.
Son buveur oppose une signification déclarée, discrète et silencieuse mais affirmée, aux partisans de boissons plus colorées - bière ou soda. Il signale aux premiers une claire abstinence, aux seconds l'incolore pureté de ses propres ingestions, aux deux réunis la préoccupation sanitaire d'un corps sans tache enfermant l'esprit pur.
Car la consommation raisonnée du Perrier-tranche se mérite : le plaisir seul de la papille - passée l'acide chatouille carbonique au palais - y étant mince, une machine toute autre est à mettre en route au plus profond du buveur. Tout est là.
Que faire en premier de cette paille de plastique, si lointaine aujourd'hui du chaume porte-blé que nul aujourd"hui, corps et mental rivé au rectangle lumineux que caresse sans fin la main valide, ne songe à la céréale blonde, portant la longue tige en bouche. Tube aspirant dont on délibère un peu de l'usage opportun, et qu'on préfèrera délaisser, engagée dans le ventre vert de la bouteille vide, se préservant ainsi des stridulations honteuses de fond de verre.
Alors, le geste délicat, la longue cuillère immerge, accule et presse au fond du verre la rondelle ensoleillée, sans qui de mornes fadeurs attristeraient une cavité buccale uniquement soumise aux remous pétillants de la bulle éclatée.
Mais la boisson n'est pas encore prête : dans le fin torrent des globes argentés qu'appelle la surface, le buveur ne manque pas de considérer l'intrusion, puis l'émersion inopinée de quelque graine échappée de la pulpe. Alors, le regard bas et la cuillère circonspecte, il rejette - discrètement - la semence ovale et claire au pied du guéridon. Le moment de gêne est passé : il n'a pas été aperçu.
Et c'est alors que le liquide, où se répand le trouble citronné, s'ingère enfin à gorgées mesurées en veillant toutefois, à l'image du verre où s'est tue la tempête, à ce que d'inconvenants borborygmes ne viennent ternir, si durement établie, la prestance du buveur de Perrier-tranche.
JCP 23 04 2016 À la terrasse du Florida, Toulouse.
Georges Brassens n'a pas son chapitre aux anthologies où figurent les grands poètes. Ne devient pas Baudelaire qui veut - il le reconnaissait volontiers. Son incursion dans la littérature n'a pas fait date non plus : son unique ouvrage, "La tour des miracles", ne mérite qu'une lecture bienveillante - il le reconnaissait aussi.
Chanteur-compositeur, Brassens est cependant un versificateur hors pair, sans doute un des plus talentueux dans ce domaine tellement exigeant.
Sa chanson "La Marguerite", mérite à ce titre qu'on prenne le temps de s'y arrêter. Il y a là une somme de talent, d'inspiration, et sans doute de travail acharné considérable.
Débordante d'allitérations* et de rimes riches, elle est un exemple éclatant - voire unique dans le domaine de la versification, qu'elle soit à caractère poétique ou non. À tel point que ses allitérations, présentes à chaque vers (un exploit digne de Racine, Corneille ou Molière) peuvent à l'oreille passer pour des rimes. Le premier vers de la cinquième strophe est des plus significatifs en ce sens.
Les mots chantent seuls, et on peut imaginer que la musique est venue d'elle-même (enfin, peut-être...)
* Allitération : Répétition d'une consonne ou d'un groupe de consonnes (par opposition à assonance) dans des mots qui se suivent, produisant un effet d'harmonie imitative ou suggestive (par exemple « De Ce Sacré Soleil dont je Suis deSCendue » [Racine]).
Assimilant (on peut le penser) les directives du poème "Art poétique" de Paul Verlaine, Brassens choisit le vers impair de 11 pieds pour sa musicalité (9 pieds pour le poème de Verlaine) :
« De la musique avant toute chose, Et pour cela préfère l'Impair Plus vague et plus soluble dans l'air, Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.
1 La petite marguerite est tombée Singulière du bréviaire de l'abbé Trois pétales de scandale sur l'autel, Indiscrète pâquerette d'où vient-elle ? Trois pétales de scandale sur l'autel, Indiscrète pâquerette d'où vient-elle ?
2 Dans l'enceinte sacro-sainte, quel émoi! Quelle affaire, oui ma chère, croyez-moi! La frivole fleur qui vole, arrive en Contrebande des plates-bandes du couvent. La frivole fleur qui vole, arrive en Contrebande des plates-bandes du couvent.
3 Notre père qui j'espère êtes aux cieux N'ayez cure des murmures malicieux. La légère fleur, peuchère! ne vient pas De nonnettes, de cornettes en sabbat La légère fleur, peuchère! ne vient pas De nonnettes, de cornettes en sabbat
4 Sachez diantre! qu'un jour entre deux Ave Sur la pierre d'un calvaire il l'a trouvée Et l'a mise chose admise par le ciel Sans ombrages dans les pages du missel Et l'a mise chose admise par le ciel Sans ombrages dans les pages du missel
5 Que ces messes basses cessent, je vous prie, Non le prêtre n'est pas traître à Marie Que personne ne soupçonne plus jamais La petite marguerite ah! ça mais. Que personne ne soupçonne plus jamais La petite marguerite ah! ça mais.
Une vidéo mise à disposition par l'I.N.A.
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"Art poétique" de Verlaine en entier :
À Charles Morice
De la musique avant toute chose, Et pour cela préfère l'Impair Plus vague et plus soluble dans l'air, Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.
Il faut aussi que tu n'ailles point Choisir tes mots sans quelque méprise : Rien de plus cher que la chanson grise Où l'Indécis au Précis se joint.
C'est des beaux yeux derrière des voiles, C'est le grand jour tremblant de midi, C'est, par un ciel d'automne attiédi, Le bleu fouillis des claires étoiles !
Car nous voulons la Nuance encor, Pas la Couleur, rien que la nuance ! Oh ! la nuance seule fiance Le rêve au rêve et la flûte au cor !
Fuis du plus loin la Pointe assassine, L'Esprit cruel et le Rire impur, Qui font pleurer les yeux de l'Azur, Et tout cet ail de basse cuisine !
Prends l'éloquence et tords-lui son cou ! Tu feras bien, en train d'énergie, De rendre un peu la Rime assagie. Si l'on n'y veille, elle ira jusqu'où ?
O qui dira les torts de la Rime ? Quel enfant sourd ou quel nègre fou Nous a forgé ce bijou d'un sou Qui sonne creux et faux sous la lime ?
De la musique encore et toujours ! Que ton vers soit la chose envolée Qu'on sent qui fuit d'une âme en allée Vers d'autres cieux à d'autres amours.
Que ton vers soit la bonne aventure Eparse au vent crispé du matin Qui va fleurant la menthe et le thym... Et tout le reste est littérature.
Ce poème a été mis en musique et chanté par Léo Ferré :
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Défenseur de toute cause juste, de la dignité de l'homme et de celle de la nature, survivant des geôles de Pinochet, Luis Sepúlveda vient de succomber à un dictateur plus implacable encore : le virus qui ne cesse d'assombrir notre planète.
Luis, nous n'oublierons jamais ton "Vieux qui lisait des romans d'amour", ni l'histoire de ta "Mouette et du chat qui lui apprit à voler", que voici dans son intégralité (texte libre de droits que les enfants peuvent lire) :
UN CLIC SUR L'IMAGE POUR LE LIRE
LE LIVRE PAPIER C'EST TELLEMENT MIEUX...
Ouvrages principaux : Le Vieux qui lisait des romans d’amour, Histoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à voler, L’Ombre de ce que nous avons été, Le Neveu d’Amérique, Le Monde du bout du monde et Un Nom de torero.
Luis, j'ai un aveu à te faire...
Amoureux des mots et des langues (on dit plus justement "idioma" - idiome - en espagnol, "lengua" - langue - est un organe, pas vrai ?), je me suis permis de traduire - en français et selon ce que j'ai cru lire de ta propre sensibilité - ton inoubliable "Un Viejo que leía novelas de amor". Tel comme je crois que tu l'écrivis - et non tel que nous le lisons dans notre pays.
Longuement, laborieusement, avec toutes les aides possibles (comme celle via internet d'un de tes compatriotes écrivain), j'ai proposé au papier blanc ma version personnelle, sans jamais la montrer à personne.
- Pourquoi ai-je fait ça ?
- Parce que la traduction française, à la vente dans notre pays, ne m'a pas entièrement satisfait à la lecture de tes propres mots. Les vrais, ceux que tu écrivis. Parce que j'aime la langue et le parler dans lesquels tu t'exprimes. Et parce qu'une phrase entière, de plusieurs lignes, y a été - volontairement ou non - supprimée. Ce qui m'a passablement choqué.
Certain que tu m'y aurais autorisé, je me permettrai bientôt de publier ici-même cette traduction, sur cet espace lu de celles et ceux qui veulent bien le visiter. Pour qu'on ne t'oublie pas.
Mais avant, je la relirai jusqu'à n'y trouver le moindre mot où persiste encore le doute ou la virgule mal placée. En pensant à toi.
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