Salutaire désaccord (0943)
Salutaire désaccord
La Mort, quittant discrète au petit matin le chevet d’un trépassé, vint à rencontrer la Vie, toute assourdie encore, elle, des vagissements d’un nouveau-né.
S’étant, contre toute attente, saluées courtoisement, la Mort dit à la Vie :
- Quelle absurdité que notre sort, à toujours défaire ce que l’autre s’éreinte à faire, Vie, ne trouvez-vous-pas ?
- Certes, comme vous je suis lasse, mais l’Univers est ainsi fait que tout ce qui vit périsse par vos soins, et qu’en ce qui meurt j’aille encore puiser la vie.
- Que ne cessons-nous alors un labeur inutile, prenons un repos mérité ! poursuivit la Mort.
- Signons donc un accord, c’est convenu, Mort, jouissons ensemble de la vie !
- A ceci je ne vous suis pas : seule la mort est jouissance, où par mon action rien n’a plus lieu de se faire et d’où naît le repos : Vie, suivez-moi dans la mort !
- Apprenez alors que le plaisir est seul dans le faire et le vivant : Mort, rejoignons de concert ce qui vit et se meut !
- La vie n’est que souffrance, le faire est éreintant ; l’inerte seul vaut qu’on le loue : ténèbres et néant, voici le seul bonheur, me tuerai-je à vous le dire ?
Et la nuit terrassait déjà le jour que ce dialogue de sourdes n’avait trouvé le moindre accord.
Reconnaissons que la chose est heureuse.
JCP 11 2018