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La Chanson Grise
6 juin 2013

Pierre de Ronsard, sélection de poèmes

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Pierre de Ronsard, sélection de poèmes

 

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Marie levez-vous

 

Marie, levez-vous, ma jeune paresseuse :
Jà la gaie alouette au ciel a fredonné,
Et jà le rossignol doucement jargonné,
Dessus l’épine assis, sa complainte amoureuse.

Sus ! debout ! allons voir l’herbelette perleuse,
Et votre beau rosier de boutons couronné,
Et vos œillets mignons auxquels aviez donné,
Hier au soir de l’eau, d’une main si soigneuse.

Harsoir en vous couchant vous jurâtes vos yeux
D’être plus tôt que moi ce matin éveillée :
Mais le dormir de l’Aube, aux filles gracieux,

Vous tient d’un doux sommeil encor les yeux sillée.
Çà ! çà ! que je les baise et votre beau tétin,
Cent fois, pour vous apprendre à vous lever matin.

 

 

 

Comme on voit sur la branche

 

Comme on voit sur la branche au mois de may la rose,
En sa belle jeunesse, en sa première fleur,
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l’Aube de ses pleurs au point du jour l’arrose;

La grâce dans sa feuille, et l’amour se repose,
Embasmant les jardins et les arbres d’odeur;
Mais battue, ou de pluye, ou d’excessive ardeur,
Languissante elle meurt, feuille à feuille desclose.

Ainsi en ta première et jeune nouveauté,
Quand la terre et le ciel honoraient ta beauté,
La Parque t’a tuée, et cendres tu reposes.

Pour obsèques reçoy mes larmes et mes pleurs,
Ce vase plein de laict, ce panier plein de fleurs,
Afin que vif et mort, ton corps ne soit que roses.

 

 

 

Tay toy, babillarde Arondelle

 

Tay toy, babillarde Arondelle,

 Ou bien, je plumeray ton aile

 Si je t'empongne, ou d'un couteau

 Je te couperay la languette,

 Qui matin sans repos caquette

 Et m'estourdit tout le cerveau.

 Je te preste ma cheminée,

 Pour chanter toute la journée,

 De soir, de nuict, quand tu voudras.

 Mais au matin ne me reveille,

 Et ne m'oste quand je sommeille

 Ma Cassandre d'entre mes bras.

 

 

 

Prends cette rose

 

Prends cette rose, aimable comme toi

Qui sers de rose aux roses les plus belles,

Qui sert de fleur aux fleurs les plus nouvelles,

Dont la senteur me ravit tout de moi.

 

Prends cette rose, et ensemble reçois

Dedans ton sein mon cœur qui n’a point d’ailes,

Il est constant, et cent plaies cruelles

N’ont empêché qu’il ne gardât sa foi.

 

La rose et moi différons d’une chose

Un soleil voit naître et mourir la rose,

Mille soleils ont vu naître m’amour.

 

Ah ! je voudrais que telle amour éclose

Dedans mon cœur qui jamais ne repose,

Comme une fleur, ne m’eût duré qu’un jour.

 

 

 

Quand vous serez bien vieille

 

Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant :
Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle.

Lors, vous n’aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s’aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.

Je serai sous la terre et fantôme sans os :
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos :
Vous serez au foyer une vieille accroupie,

Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain :
Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie.

 

 

 

Je vous envoye un bouquet

 

Je vous envoie un bouquet que ma main
Vient de trier de ces fleurs épanies;
Qui ne les eût à ce vêpre cueillies
Chutes à terre elles fussent demain.

Cela vous soit un exemple certain
Que vos beautés, bien qu'elles soient fleuries
En peu de temps cherront toutes flétries
Et, comme fleurs, périront tout soudain.

Le temps s'en va, le temps s'en va, ma Dame,
Las ! le temps, non, mais nous nous en allons,
Et tôt serons étendus sous la lame ;

Et des amours desquelles nous parlons,
Quand serons morts, n'en sera plus nouvelle :
Pour ce aimez-moi, cependant qu'êtes belle.

 

 

 

Je veux lire en trois jours

 

Je veus lire en trois jours l'Iliade d'Homere,
Et pour-ce, Corydon, ferme bien l'huis sur moy.
Si rien me vient troubler, je t'asseure ma foy
Tu sentiras combien pesante est ma colere.

Je ne veus seulement que nostre chambriere
Vienne faire mon lit, ton compagnon, ny toy,
Je veus trois jours entiers demeurer à requoy,
Pour follastrer apres une sepmaine entiere.

Mais si quelqu'un venoit de la part de Cassandre,
Ouvre lui tost la porte, et ne le fais attendre,
Soudain entre en ma chambre, et me vien accoustrer.

Je veus tant seulement à luy seul me monstrer :
Au reste, si un Dieu vouloit pour moy descendre
Du ciel, ferme la porte, et ne le laisse entrer.

 

 

 

Mignonne allons voir

 

A Cassandre

Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avoit desclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu ceste vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vostre pareil.

Las ! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las ! las ses beautez laissé cheoir !
Ô vrayment marastre Nature,
Puis qu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !

Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que vostre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez vostre jeunesse :
Comme à ceste fleur la vieillesse
Fera ternir vostre beauté.

 

 

 

Quand je suis vingt ou trente mois

 

Quand je suis vingt ou trente mois
Sans retourner en Vendômois,
Plein de pensées vagabondes,
Plein d'un remords et d'un souci,
Aux rochers je me plains ainsi,
Aux bois, aux antres et aux ondes.

Rochers, bien que soyez âgés
De trois mil ans, vous ne changez
Jamais ni d'état ni de forme ;
Mais toujours ma jeunesse fuit,
Et la vieillesse qui me suit,
De jeune en vieillard me transforme.

Bois, bien que perdiez tous les ans
En l'hiver vos cheveux plaisants,
L'an d'après qui se renouvelle,
Renouvelle aussi votre chef ;
Mais le mien ne peut derechef
R'avoir sa perruque nouvelle.

Antres, je me suis vu chez vous
Avoir jadis verts les genoux,
Le corps habile, et la main bonne ;
Mais ores j'ai le corps plus dur,
Et les genoux, que n'est le mur
Qui froidement vous environne.

Ondes, sans fin vous promenez
Et vous menez et ramenez
Vos flots d'un cours qui ne séjourne ;
Et moi sans faire long séjour
Je m'en vais, de nuit et de jour,
Au lieu d'où plus on ne retourne.

Si est-ce que je ne voudrois
Avoir été rocher ou bois
Pour avoir la peau plus épaisse,
Et vaincre le temps emplumé ;
Car ainsi dur je n'eusse aimé
Toi qui m'as fait vieillir, Maîtresse.

 

 

 

Bel aubépin

 

Bel aubépin verdissant,

fleurissant

Le long de ce beau rivage,

Tu es vêtu jusqu'au bas

Des longs bras

D'une lambruche sauvage.

Deux camps de rouges fourmis

Se sont mis

En garnison sous ta souche,

Dans les pertuis de ton tronc

Tout du long

Les avettes ont leur couche.

Le gentil rossignolet

Nouvelet,

Avecques sa bien-aimée,

Pour ses amours alléger

Vient loger

Tous les ans en ta ramée,

Dans laquelle il fait son nid,

Bien garni

De laine et de fine soie,

Où ses petits écloront,

Qui seront

De mes mains la douce proie.

Or, vis, gentil aubépin,

Vis sans fin,

Vis sans que jamais tonnerre,

Ou la cognée, ou les vents,

Ou les temps

Te puissent ruer par terre.

 

 

 

Contre les bucherons de la forest de Gastine

Elégie



Quiconque aura premier la main embesongnée
A te couper, forest, d'une dure congnée,
Qu'il puisse s'enferrer de son propre baston,
Et sente en l'estomac la faim d'Erisichton,
Qui coupa de Cerés le Chesne venerable
Et qui gourmand de tout, de tout insatiable,
Les bœufs et les moutons de sa mère esgorgea,
Puis pressé de la faim, soy-mesme se mangea :
Ainsi puisse engloutir ses rentes et sa terre,
Et se devore après par les dents de la guerre.

Qu'il puisse pour vanger le sang de nos forests,
Tousjours nouveaux emprunts sur nouveaux interests
Devoir à l'usurier, et qu'en fin il consomme
Tout son bien à payer la principale somme.

Que tousjours sans repos ne face en son cerveau
Que tramer pour-neant quelque dessein nouveau,
Porté d'impatience et de fureur diverse,
Et de mauvais conseil qui les hommes renverse.

Escoute, Bucheron (arreste un peu le bras)
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas,
Ne vois-tu pas le sang lequel degoute à force
Des Nymphes qui vivoyent dessous la dure escorce ?
Sacrilege meurdrier, si on pend un voleur
Pour piller un butin de bien peu de valeur,
Combien de feux, de fers, de morts, et de destresses
Merites-tu, meschant, pour tuer des Déesses ?

Forest, haute maison des oiseaux bocagers,
Plus le Cerf solitaire et les Chevreuls legers
Ne paistront sous ton ombre, et ta verte criniere
Plus du Soleil d'Esté ne rompra la lumiere.

Plus l'amoureux Pasteur sur un tronq adossé,
Enflant son flageolet à quatre trous persé,
Son mastin à ses pieds, à son flanc la houlette,
Ne dira plus l'ardeur de sa belle Janette :
Tout deviendra muet : Echo sera sans voix :
Tu deviendras campagne, et en lieu de tes bois,
Dont l'ombrage incertain lentement se remue,
Tu sentiras le soc, le coutre et la charrue :
Tu perdras ton silence, et haletans d'effroy
Ny Satyres ny Pans ne viendront plus chez toy.

Adieu vieille forest, le jouët de Zephyre,
Où premier j'accorday les langues de ma lyre,
Où premier j'entendi les fleches resonner
D'Apollon, qui me vint tout le coeur estonner :
Où premier admirant la belle Calliope,
Je devins amoureux de sa neuvaine trope,
Quand sa main sur le front cent roses me jetta,
Et de son propre laict Euterpe m'allaita.

Adieu vieille forest, adieu testes sacrées,
De tableaux et de fleurs autrefois honorées,
Maintenant le desdain des passans alterez,
Qui bruslez en Esté des rayons etherez,
Sans plus trouver le frais de tes douces verdures,
Accusent vos meurtriers, et leur disent injures.

Adieu Chesnes, couronne aux vaillans citoyens,
Arbres de Jupiter, germes Dodonéens,
Qui premiers aux humains donnastes à repaistre,
Peuples vrayment ingrats, qui n'ont sceu recognoistre
Les biens receus de vous, peuples vraiment grossiers,
De massacrer ainsi nos peres nourriciers.

Que l'homme est malheureux qui au monde se fie !
Ô Dieux, que véritable est la Philosophie,
Qui dit que toute chose à la fin perira,
Et qu'en changeant de forme une autre vestira :
De Tempé la vallée un jour sera montagne,
Et la cyme d'Athos une large campagne,
Neptune quelquefois de blé sera couvert.
La matiere demeure, et la forme se perd.

 

 

 

Le nuage ou l'yvrongne

 

Un soir, le jour de Sainct-Martin,
Thenot, au milieu du festin,
Ayant déjà mille verrées
D'un gozier large dévorées,
Ayant gloutement avalé
Sans mascher maint jambon salé,
Ayant rongé mille saucisses,
Mille pastez tous pleins d'espices,
Ayant maint flacon rehumé,
Et mangé maint brezil fumé,
Hors des mains lui coula sa coupe ;
Puis, bégayant devers la troupe,
Et d'un geste tout furieux
Tournant la prunelle des yeux,
Pour mieux digérer son vinage,
Sur le banc pencha son visage. 

Ja, ja commençoit à ronfler,
A nariner, à renifler,
Quand deux flacons cheuz contre terre,
Pesle-mesle avecques un verre,
Vindrent reveiller à demy
Thenot sur le banc endormy,
Thenot donc, qui demy s'eveille,
Frottant son front et son oreille,
Et s'alongeant deux ou trois fois,
En sursault jetta ceste voix : 

Il est jour, que dit l'Aloüette,
Non est non, non, dit la fillette ;
Ha là là là là là là là,
Je voy deçà, je voy delà,
Je voy mille bestes cornuës,
Mille marmotz dedans les nuës :
De l'une sort un grand taureau,
Sur l'autre sautille un chevreau ;
L'une a les cornes d'un Satyre,
Et du ventre de l'autre tire
Un crocodile mille tours,

Je voy des villes et des tours,
J'en voy de rouges et de vertes,
Voy-les là ! je les voy couvertes
De sucres et de poix confis.
J'en voy de morts, j'en voy de vifs,
J'en voy, voyez les donc! qui semblent
Aux blez qui soubz la bize tremble. 

J'avise un camp de Nains armez,
J'en voy qui ne sont point formez,
Tronquez de cuisses et de jambes,
Et si ont les yeux comme flambes
Au creux de l’estomac assis :
J'en voy cinquante, j'en voy six
Qui sont sans ventre, et si ont teste
Effroyable d'une grand' creste,

Voicy deux nuages tout plains
De Mores, qui n'ont point de mains
Ny de corps, et ont les visages
Semblables à des chats sauvages :
Les uns portent des pieds de chèvre
Et les autres n'ont qu'une lèvre
Qui seule barbotte, et dedans
Ils n'ont ny mâchoires, ny dens. 

J'en voy de barbus comme hermites,
Je voy les combats des Lapithes,
J'en voy tout hérissez de peaux,
J'entr'avise mille troupeaux
De singes qui d'un tour de jouë
D'en hault aux hommes font la mouë,
Je voy, je voy parmi les flots,
D'une Baleine le grand dos. 

Et ses espines qui paroissent,
Comme en l'eau deux roches qui croissent ;
Un y galope un grand destrier
Sans bride, selle ny estrier.
L'un talonne à peine une vache,
L'autre, dessus un asne, tâche
De vouloir jallir d'un plein sault
Sur un qui manie un crapault.
L'un va tardif, l'autre galope
L'un s'élance dessus la crope
D'un Centaure tout débridé ;
Et l'autre, d'un Géant guidé,
Portant au front une sonnette,
Par l'air chevauche à la genette ;
L'un sur le dos se charge un veau,
L'autre en sa main tient un marteau ; 
L'un d'une mine renfrongnée
Arme son poing d'une cougnée ;
L'un porte un dard, l'autre un trident,
Et l'autre un tison tout ardent.

Les uns sont montez sus des gruës,
Et les autres sus des tortuës
Vont à la chasse avec les Dieux ;
Je voy le bon Père joyeux
Qui se transforme en cent nouvelles ;
J'en voy qui n'ont point de cervelles,
Et font un amas nompareil,
Pour vouloir battre le Soleil
Et pour l'enclorre en la caverne 
Ou de Saint Patrice, ou d'Averne ;
Je voy sa Sœur qui le défend,
Je voy tout le ciel qui se fend,
Et la terre qui se crevace,
Et le chaos qui les menace.

Je voy cent mille Satyreaux,
Ayans les ergots de Chevreaux,
Faire peur à mille Naïades.
Je voy la dance des Dryades
Parmy les foretz trepigner,
Et maintenant se repeigner
Au fond des plus tiedes vallées,
Ores a tresses avalées,
Ores gentement en un rond,
Ores à flocons sur le front,
Puis se baigner dans les fonteines. 

Las ! ces nuës de grelle pleines
Me prédisent que Jupiter
Se veut contre moy dépiter :
Bré, bré, bré, bré ! voicy la foudre,
Craq, craq, craq ! n'oyez-vous découdre
Le ventre d'un nuau ? J'ai veu,
J'ay veu, craq, craq ! j'ay veu le feu,
J'ay veu l'orage, et le Tonnerre,
Tout mort, me brise contre terre. 

A tant, cest ivrongne Thenot,
De peur qu'il eut, ne dit plus mot,
Pensant vrayment que la tempeste
Luy avoit foudroyé la teste. 

 

 

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Commentaires
G
Ah quelle douce fraîcheur dans ces vers immortels, tout le rayonnement et le charme subtil de la Renaissance ! Merci pour cette anthologie !
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