Musique (1223)
Musique
Au concert quelquefois
les belles écouteuses
ont l’oreille voyeuse
JCP 07/2020
Musique
Au concert quelquefois
les belles écouteuses
ont l’oreille voyeuse
JCP 07/2020
« La musique est une clé qui ouvre les portes de l’inexprimable ».
Laurence Equilbey, directrice d'orchestre
Sur la neige
Bouton blanc qui manquait
Au vaste manteau blanc,
Le flocon blanc se pose
Et se fond dans le blanc,
Page blanche encre blanche
Où ne se lit que blanc.
11-12/2020
La mort du miroir
Comme une outre percée d’où couleraient des larmes,
Le miroir s’est vidé de ses anciens reflets,
Et la flamme qui court à son tain fissuré
Dessine un arc-en-ciel de poussières d’images.
À sa surface lisse où le noir s’établit
Luit un dernier éclair, révélant les abysses
D’une mémoire morte : le miroir suicidé
Ne reflètera plus ce monde de laideur.
JCP, 12/2020
Senderos que se bifurcan*
À Jorge Luís Borges
Aux lueurs affaiblies d’un passé révolu,
Parfois s’éclaire en nous le sentier qui bifurque -
Et qu’on n’emprunta pas. Et serpente en nôtre âme
La voie d’une autre vie qui mourut avant d’être.
Ainsi qu’au coffret clos, dont l’imagination
Voit immense et précieux ce qu’il ne contient pas,
Comme elle eût été belle, emplie de tant de joies,
De bonheur et d’amour, la vie que l’on n’eut pas !
Écartées à jamais de notre connaissance,
Qui dira si ces voies ne forment près de nous
- En réseau parallèle à notre destinée -
Des rails immaculés où nous pourrions rouler…
* Sentiers qui bifurquent
D’après le titre original du recueil de nouvelles de Jorge Luís Borges (Argentine, 1899-1983) « Le jardin aux sentiers qui bifurquent ».
Augmenté du recueil « Artifices » et édité sous le titre « Fictions » (Folio, Gallimard).
Grand classique de la littérature sud-américaine, fréquemment étudié en classes de lettres.
JCP, 12/2020
Patti Smith : "Just kids"
Si vous n’êtes ni punk ni rock, ni poésie ni photo d’art, peinture dessin ou compositions artistiques, ou si même vous lisez peu ou n’écoutez pas de musique, peut-être alors, malgré ces restrictions (que vous n’avez pas toutes !), devriez-vous lire cet ouvrage de Patti Smith, « Just kids » - même si vous n’avez jamais entendu parler d’elle.
Née à Chicago en 1946, Patti Smith se fit connaître chez nous comme chanteuse rock-punk, un mouvement qu’elle a, associée à d’autres, initié en tant que femme (Nina Hagen vint après elle). L’album 33 tours (on disait aussi microsillon mais jamais « vinyle ») « Horses » (1975) rencontra un succès notable de ce côté de l’Atlantique (bien que je le trouve inécoutable, cette musique exige tant d’indulgence dans ses approximations délibérées pour satisfaire à l’attitude marginale et provocatrice affichée qu’il est bien difficile, même par protection affective, de l’apprécier comme telle.)
Garçon manqué très peu soigneuse de sa personne, gamine elle se disait général de son quartier, dirigeant jeux et loisirs des enfants de son âge d’une main de fer… avant de se lancer seule à la conquête - rien de moins - de New York, au risque d’y éprouver l’échec et la misère, ce qui ne manqua pas d’arriver les premiers temps. (Elle naquit dans un milieu modeste).
Patti, qui est aussi bonne écrivaine, peintre et dessinatrice, s’est beaucoup intéressée à la poésie, et, grande admiratrice de Rimbaud et de Walt Whitman, elle en a écrit toute sa vie. Avec comme lieu inspirant préféré la table de bistrot. (Comme l’auteur de ces lignes - la comparaison s’arrêtant là).
Ayant vécu, comme beaucoup d’artistes, cinéastes, musiciens, peintres et écrivains d’alors (la liste est interminable et les noms connus), au mythique Chelsea hôtel de New York (inscrit aujourd’hui au « National Register of Historic Places ») avec Robert Mapplethorpe, artiste et photographe underground, c’est dans ce creuset de l’art qu’elle a développé ses multiples talents, au gré des influences rencontrées. Avec comme cadre les bas-fonds de New York, y côtoyant le milieu des junkies, des homosexuels et des prostitués des deux sexes, comme de personnes influentes ou peu respectables - voire dangereuses.
C’est dans ce cadre que « Just kids », écrit en 2010, témoigne de sa jeunesse et de ses débuts dans l’affiche, la peinture, le dessin, la photographie, la musique, le chant, la composition musicale, la poésie, l’écriture. Elle nous dit ses combats, ses peines, ses joies, en compagnie des hommes qui vécurent avec elle et près d’elle, qui la soutinrent et la stimulèrent dans son parcours.
On le voit, 2010, Patti s’est mise « sur le tard » à écrire le roman de sa vie (notant de longue date les évènements significatifs traversés, elle disposait de volumineux cahiers).
Il ne sera donné ici ni résumé notable ni critique de cet ouvrage, quantité de sites littéraires le font. Cette petite merveille (où tout n’est pas merveilleux !) vous sera laissée vierge de tout dire ; ne gâchons pas le plaisir de lire cette vertigineuse plongée dans les abysses du milieu underground du New York des années 1960-70. Haut lieu de la création artistique mondiale, que traversèrent une myriade d’étoiles - filantes ou non -, aujourd’hui respectées. Et dont les noms sont gravés sur des plaques commémoratives à l’entrée du Chelsea Hôtel.
Cet ouvrage a été primé - et le mérite, tant il représente un des plus précieux témoignages du passé artistique récent des États-Unis - et par extension du monde civilisé, où tout n’était pas si mal, même si ça n’était pas parfait.
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Rêve d'une vie entière et de nombreuses fois visitée, Patti Smith a pu enfin acquérir la maison d'Arthur Rimbaud, pour lequel elle affichait une authentique vénération, maison où il écrivit notamment Le bateau ivre et Les illuminations, en 2016, la sauvant d'une lente agonie. À la grande satisfaction des gestionnaires du musée Rimbaud de Charleville-Mézières, heureux d'avoir trouvé en elle une protectrice passionnée, par ailleurs déjà marraine du musée.
JCP, 31/12/2020
Deux de ses albums musicaux
Avec Robert Mapplethorpe, et lors d'une entrevue avec Lou Doillon à l'occasion de la réédition de "Just kids" avec les dessins de Lou.
JCP, 31/12/2020
Percevoir
À François Cheng
Les lèvres se sont tues sans dire la beauté,
Et paraît le néant où jaillit du silence
L’inconscient révélé, creuset des perceptions
Où le beau donne sens aux peines de la vie.
JCP 07/2020
Cris annonciateurs
Au roucoulement aigu qui se perd dans la vallée, chant de métal déchiré d’où s’exhale encore une onde fugitive, se lit l’indice du haut prix de relations perdues, où plane encore la trace d’un remords de faveur.
Les eaux se précipitent et seul l’arbre juché survit, alors que voient le jour des limons millénaires déversés dans les fleuves.
Les sommets ont tremblé sous les ouragans de glace et le soleil, qui persiste au cours lent de sa vie, émousse ses rayons aux tranchants de cristal d’un sommeil chimérique.
Aux vastes champs éblouis se tisse en fils éclatants une prodigieuse lumière, où ne se perçoit plus qu’amas d’étincelles. Et la journée s’achève sur cette impression d’une perpétuelle renaissance où l’œil - vision fugitive ou rêverie singulière - croit percevoir les dissemblables incidents de la vie en marche.
JCP 03/2019 – 10/2020
Grain de vie
Aux arbres
Les petits pieds de l’eau ont quitté le ruisseau,
Et d’un orteil agile ont soulevé la graine,
Qu’ils emportent rieurs sur le flot qui voyage,
Perpétuant la forêt vers un lointain ailleurs.
11/2020
Le grand peintre
Le vent plein de malice a poussé les pions blancs
Sur l’échiquier du ciel, ternissant les couleurs
Que peignait le soleil. Mais tout nuage passe,
Et le soleil patient reprendra son tableau.
11/2020
L’enfant-chat
Il goûte à la sève des herbes,
Ausculte les insectes,
Étudie le vol des oiseaux
Et perce le mystère des pluies,
Galope avec le vent,
Lacère et tue la feuille déjà morte,
Escalade les arbres
Et fait chuter les fruits,
Épointe le lézard,
Martyrise le campagnol
Et fuit le crapaud,
Secoue avec horreur
La patte souillée d’eau !
- L’enfant-chat.
"Cachou", 7 mois
JCP, 12/2020
Buvette-restaurant-guinguette saisonnière du port de la Daurade, Toulouse
Aux « Pêcheurs de Sable »
À quatre sympathiques inconnues
Tranquillement assis tout en bout de travée,
Cahier crayon en main et d’humeur concentrée,
Il composait des vers, ce jour-là fort mauvais.
- À ce jeu mal aimé personne n’est parfait.
Perdu dans la pensée, il sent soudain vibrer
Le sol autour de lui, banc et table bouger :
Paraissaient quatre femmes, et le plus délectable
Fut qu’elles le priaient de partager sa table.
La surprise passée, il se montra courtois,
Pour elles se levant du petit banc de bois.
De l’âge un peu lassé jusqu’au joyeux délire,
Sur les quatre minois il se pouvait tout lire…
Réunies dans la joie par l’avion par le train,
De bière en jus de fruit il sut tout* de ces femmes,
Mais vit, brûlant pour lui, un regard tout de flamme
- Au moment du départ : le Temps est assassin.
Des deux regards croisés par-dessus cette table,
L’un à l’autre attachés, seuls au monde un moment,
- Qui dans une autre vie auraient pu être amants -,
Il voulut mettre en vers la rencontre improbable.
* Pour ma part j’en doute un peu. Ainsi sont les poètes…
JCP 09 2019. Aux quatre inconnues des « Pêcheurs de Sable », quatre sœurs réunies là - d’humeur sympathique, joyeuse et vagabonde (rencontrées le 13 septembre par un ami portant nom Jyssépé).
Un siècle plus tôt, même lieu : pêcheurs de sable, bains et blanchisseries
Cet article, daté du 29 Août 2019, où était dénoncée la disparition impromptue de l'orifice vital d'un objet qu'on ne présente plus, retrouve soudain une actualité brûlante :
Le trou que l'on croyait perdu est revenu !
* Bic pour toujours
Août 2019 : ancien et nouveau modèle accolés - les mots sont inutiles...
Bic
Tout n’est pas vu, tout n’est pas su,
On nous en cache !
Constatation minuscule
au prolongement majeur où se lit la crainte :
Familier au poète où trop souvent sa muse sommeille,
frêle cylindre de cristal dont la facette marque à jamais un doigt
qui l’expose aux huées*,
le Bic a vu, savez-vous, son orifice - utile au passage des airs
pour une course harmonieuse de l’encre au papier -
Disparaître !
Trop respirés, tellement souillés,
les airs, les pauvres airs seraient-ils courroucés,
et fuiraient-ils bientôt la surface de la terre
Qu’il ne soit déjà plus nécessaire de compter avec eux ?
À son encre au débit étranglé,
S’il devait vivre encore, le poète trouvera-t-il ses mots ?
* Baudelaire lui-même fut exposé aux poétophobes.
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10/2020 : Constructeur pris de remords ou plaintes pour fuites on ne sait, l'orifice équilibrateur des pressions est revenu, comme vous pourrez déjà le noter chez votre fournisseur habituel.
Il ne serait guère étonnant que nous ayons échappé à un vaste complot à échelle mondiale...
La macrophoto révèle même de mystérieuses inscriptions gravées, non pas sur le corps du stylo, mais sur le tube interne contenant le précieux liquide - et la multitude des mots non écrits qui aimeraient tant l'être...
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Jyssépé, 08/2019 - 12/2020
La mort du poète
Seule au milieu du lac, la barque de Li Po
Oscille encore un peu. Et, dans la nuit paisible,
On entend les sanglots de la Lune pleurant
Son ami disparu, qui posa un baiser
Sur son reflet dans l’eau - mirage du saké* -,
Et voulut enlacer son amie de toujours.
JCP, 11/2020
* saké : nom générique désignant toute boisson alcoolisée en Chine et au Japon.
Li Po (701-762, ère des T’ang) est un des poètes de l’ancienne Chine les plus connus en Occident. Cherchant, comme nombre de ses confrères, l’inspiration dans l’ivresse au clair de lune, la légende veut qu’il ait disparu de cette façon prestigieuse.
Li Po