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La Chanson Grise
19 juin 2020

Garçon, un "Perrier-tranche"

Cette prose, datée du 23 Avril 2016, écrite pour partie devant guéridon à la terrasse du très regretté Florida (bientôt...), haut lieu toulousain s'il en est en la matière, a pris un caractère d'actualité qu'on ne soupçonnait pas alors...et mérite peut-être réactualisation en ces temps qui sont...ce qu'ils sont.

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Garçon, un "Perrier-tranche"

 À Philippe Delerm

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                                  Le Perrier-tranche ne se boit pas, et se savoure moins encore, tant il est avare d'arôme et d'enthousiasme buccal : le prestige est ailleurs.

Son buveur oppose une signification déclarée, discrète et silencieuse mais affirmée, aux partisans de boissons plus colorées - bière ou soda. Il signale aux premiers une claire abstinence, aux seconds l'incolore pureté de ses propres ingestions, aux deux réunis la préoccupation sanitaire d'un corps sans tache enfermant l'esprit pur.

Car la consommation raisonnée du Perrier-tranche se mérite : le plaisir seul de la papille - passée l'acide chatouille carbonique au palais - y étant mince, une machine toute autre est à mettre en route au plus profond du buveur. Tout est là.

Que faire en premier de cette paille de plastique, si lointaine aujourd'hui du chaume porte-blé que nul aujourd"hui, corps et mental rivé au rectangle lumineux que caresse sans fin la main valide, ne songe à la céréale blonde, portant la longue tige en bouche. Tube aspirant dont on délibère un peu de l'usage opportun, et qu'on préfèrera délaisser, engagée dans le ventre vert de la bouteille vide, se préservant ainsi des stridulations honteuses de fond de verre.

Alors, le geste délicat, la longue cuillère immerge, accule et presse au fond du verre la rondelle ensoleillée, sans qui de mornes fadeurs attristeraient une cavité buccale uniquement soumise aux remous pétillants de la bulle éclatée.

Mais la boisson n'est pas encore prête : dans le fin torrent des globes argentés qu'appelle la surface, le buveur ne manque pas de considérer l'intrusion, puis l'émersion inopinée de quelque graine échappée de la pulpe. Alors, le regard bas et la cuillère circonspecte, il rejette - discrètement - la semence ovale et claire au pied du guéridon. Le moment de gêne est passé : il n'a pas été aperçu.

Et c'est alors que le liquide, où se répand le trouble citronné, s'ingère enfin à gorgées mesurées en veillant toutefois, à l'image du verre où s'est tue la tempête, à ce que d'inconvenants borborygmes ne viennent ternir, si durement établie, la prestance du buveur de Perrier-tranche.

 

 

JCP 23 04 2016  À la terrasse du Florida, Toulouse.

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8 juin 2020

Le Dictionnaire éventuel : 101, ingrat

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Ingrat : Se dit d'un sujet présentant une carence adipeuse. Syn. : maigre ; contr. : gras.

 

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 FEUILLETER LE DICTIONNAIRE ÉVENTUEL :

http://chansongrise.canalblog.com/archives/le_dictionnaire_eventuel/index.html

6 juin 2020

Plus loin (1189)

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                                                                               Edvard Munch

 

 

Plus loin

 

 

 

                       I

 

Soudain la voile enflée

Ouvre un sillage neuf,

Et les points cardinaux

Ne sont plus que chimères.

 

 

                    II

 

- Chemins de la pensée

Qui ne portez de nom

Que celui qu’on vous donne,

Faites-moi voir un monde

Où la raison s’égare !

 

- Où des arbres dormeurs

Sont porteurs au matin

De grands fruits de lumière ;

 

- Où la lente agonie

De mornes arcs-en-ciel

Mêle des larmes noires

Aux cadavres d’aurores ;

 

- Où de jeunes étoiles

Qui n’eurent pas de nom

Enflent de leur chagrin

Des fleuves de cristal ;

 

- Où l’horizon brisé

Laisse saigner le bleu

De cieux à peine nés ;

 

- Où l’herbe pousse au jour

Pour mourir à la nuit,

Et recroît dissemblable

À chaque aube nouvelle ;

 

- Où l’ombre et la lumière,

Étroitement mêlées,

Se moquent des frontières

Que voudrait la couleur ;

 

- Où des hordes riantes,

Faisant compte d’étoiles

Sous les nuages bleus

Qui caressent leur front,

Complètent le chaos

D’un tableau qui s’ignore.

 

 

                III

 

Le rêve a son éveil,

Et voyager sa fin ;

L’irrégulier retourne

À sa morne droiture…

Et je revis sans joie

Le port du vieux pays

Qu’il faut nommer Raison.

 

 

 

JCP 03-06/2020 

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