La grève des éboueurs (310)
La grève des éboueurs
À Julien Gracq,
À Gustave Flaubert
C’était à Rosemont, faubourg d’Orgeville, dans une des maisons basses de la rue des Inclinations.
Sous le feu croisé des discussions, le flot des paroles proférées s’amassait parmi les couverts, jaillissant sur la table en jets discontinus, éphémères fulgurances entrecoupées de pur silence.
Et l’on voyait mots et phrases éclater en comètes mortes et se répandre, cadavres inintelligibles, sur la nappe en masses informes de graphismes entremêlées.
Tard dans la soirée, alors que déclinait la parole, on dut ouvrir portes et fenêtres et rejeter l’inutile résidu des entretiens jusqu’au milieu de la rue, où l’on voyait grandir la montagne inerte des mots déjà dits.
Ce fut à l’aube qu’apparut l’ampleur du désastre : les millions de mots, proférés depuis le début de la grève des éboueurs de phrases mortes, partout jonchaient le bitume, putrides et malodorants.
Aussi, on ne peut que déconseiller Orgeville avant que ne trouve issue le fâcheux conflit social.
JCP 14-21/11/2010 ; 01/2021 B