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La Chanson Grise
20 mai 2015

Fin de nuit sous la pluie

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                                    Toulouse, rue du May (im. JCP)

 

 

Fin de nuit sous la pluie

 

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1

 

                                                         Au terme de trois accidents de réverbère - mal disposés sur un trottoir onduleux -, je finis par trouver la rue.

Ma rue.

Et la porte vitrée du petit commun.

Celui où j'habite.

Pourtant de cuir noir, le toucher lisse et l'odeur familière, mon blouson ne contenait dans ses poches ni mes clés ni mon portefeuille, mais un mouchoir sale, un peu de monnaie, une boîte de cachous et quelques papiers. Je découvris alors qu'il pleuvait et que, manches trop longues et fermeture bloquant à mi-course, ce blouson était celui d'un autre.

Collé au mur, cheveux mouillés comme à la douche et visage ruisselant, la soirée tequila au Macambo tournait au vinaigre : au terme de ces chaudes retrouvailles, le désordre de fin de soirée avait glissé jusqu'au porte-manteau, au moins pour deux des anciens élèves de l'INSA - dont moi-même.

Misant sur l'honnêteté sans faille des gens de science, restait le manque d'abri à quatre heures du matin sous la pluie - et la perspective d'un immédiat plus qu'ennuyeux : voiture inutile sans clé, impossibilité de réveiller l'immeuble tout entier où je ne connais encore personne - d'ailleurs, qui descendrait m'ouvrir en pleine nuit à Toulouse ?

Bistrots métro fermés, gare lointaine, dessous du pont Neuf bourré de SDF cuvant leur pinard verbe haut et geste imprévisible, je fus heureux d'un abribus tout en haut de l'avenue Jean-Jaurès, et me blottis tremblant contre la vitre glaciale, fesses mouillées sur le banc de tôle perforée - inoxydable à point nommé.

- Brrr !...

La pluie ne cessait pas et, sortant progressivement de son anesthésie éthylique, mon mental charriait des nuages noirs.

 

 

2

Soudain une voix de femme, forte et assurée :

- Y aura plus de bus à cette heure tu sais ; mais t'es tout mouillé... viens chez moi, je te réchaufferai...

Une professionnelle des situations désespérées se tenait campée devant moi, sous son parapluie, la cuisse affirmative résillée de noir.

- Je voudrais que j'ai pas un rond - et puis c'est pas le sujet ! répondis-je avec animosité : j'ai paumé mes clés et j'attends le jour pour rentrer chez moi - encore qu'il me faudra un serrurier...

Toute disposée à m'entendre (ces femmes là sont compatissantes), je lui fis connaître mes déboires, ce qui l'anima beaucoup (ces femmes-là sont férues de fête et de fêtards).

- Bon, bon, t'as l'air sincère et je te vois bien triste mon Loulou, y sera pas dit que Clara elle a pas bon cœur, allez, viens quand même te mettre au chaud, je rentrais moi aussi tu vois, je crèche tout à côté, viens, il est tard... fit-elle d'une voix soudainement adoucie.

- Mmm...

- T'as pas confiance bien sûr...

- Si...

- Ah mais j'ai pigé, t'as la trouille que mon mac se pointe ; rassure-toi : il est à l'hostau pour un bon moment - règlement de comptes ; y croyait faire dans le gros trafic, il a pas les épaules le pauvre Chou, enfin...

- Euh, t'en parles comme si tu l'aimais, je sais que vous êtes bizarres, les femmes, mais...

- Hé, c'est mon mac mais c'est mon mec, il est super avec moi, je suis sa reine qu'il dit toujours, sûr que je l'aime beaucoup... Bon, tu viens ou tu prends racine ?

- Ouais, c'est d'accord. T'es sympa ; en plus t'étais pas obligée ; je te suis.

- Sympa pour une pute ?

- Non, non, j'ai pas dit ça, au contraire, y a plein de filles qui feraient pas ça, t'es chouette.

 

 

3

Vaste et luxueux mais sans tapage, l'appartement était très classe (même pour une pute).

- Belle piaule, fis-je admiratif.

- Mon Robert m'en laisse assez, ça va pour moi. Quitte ces fringues et mets-toi à l'aise. Tu peux te désaper devant moi, je te sauterai pas dessus ; décontracte-toi, allez, t'es bien ; là... donne aussi ton slip, on va sécher tout ça.

J'eus le sentiment de me déshabiller - asexué - en consultation chez quelque toubib des chagrins, et le fait est que je sentais monter à ma lèvre un sourire sans cause apparente.

Bain à bulles dans la baignoire monumentale, peignoir de soie, canapé plus confortable qu'un lit, petit déjeuner royal en tête à tête avec cette jeune femme dont l'étrange beauté gommait la face connue, amabilité souriante... Je pris congé tout confondu vers neuf heures, incapable de retenir un "naturel" :

- Je peux repasser te voir à l'occasion ?

- Mais bien sûr mon Chou, viens boire le café quand tu veux ; tiens, appelle-moi d'abord à ce numéro là :

Elle glissa une carte dans la poche de mon blouson trop grand, puis m'embrassa bruyamment sur les deux joues comme le ferait une vieille amie, et je me retirai, vêtements séchés par des soins de mère, complètement déboussolé.

Il ne pleuvait plus et les réverbères, en ordre parfait sur le trottoir rectiligne, resplendissaient sous un soleil déjà haut.

 

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JCP  05 15 Pour Les Impromptus Littéraires, sujet proposé : "Quatre heures du mat', sans clés, sans bagnole, sans toit, il pleut" :

http://impromptuslitteraires.blogspot.fr/2015/05/jcp-4h-du-mat.html

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1 mai 2015

Chez l'antique hère (669)

ANTIC

 

Chez l'antique hère

 

On voyait chez Li Wan

antique vieux forban

parmi tant de broutilles :

un poêle et des lentilles,

un vieux croûton rongé

et des chevau-légers,

un bonheur commencé

des idées mal pensées,

deux dimanches-matin

et trois lundis éteints.

 

Un bon kilo d'oignons

parmi les porte-avions

et chose des plus rares :

un grand seau de curare.

 

Un peu d'air comprimé

qu'on avait libéré

un lit trois matelas

sur un chariot à bras,

un litre de virgules

et quelques pédoncules.

 

Le vieux trou d'une poupe

un peu de bonne soupe ;

devant l'armoire à glace

un mort de guerre lasse

et deux aviateurs

à voile et à vapeur.

 

Bric-à-brac infernal,

un thermomètre anal

un gros tuyau de gaz -

et même Yvon Gattaz.

 

Enfin les trois lutins

s'étaient levés matin

pour nous dire qu'on sorte

en refermant la porte.

 

JCP 05 15 Pour les Impromptus Littéraires : "Inventaire farfelu".

Dans son contexte :

http://impromptuslitteraires.blogspot.fr/2015/05/jcp-linventaire-farfelu.html

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