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La Chanson Grise
29 mai 2014

Nouvelle : "Le Ciné j'y vais jamais"

Nouvelle écrite pour "La Petite Fabrique d'Écriture" sur le thème "cinéma"

DEMI6TASSE anigif 660

  

Le ciné j'y vais jamais

 

                                                           Jour de congé ; j'étais bien peinard sous la tonnelle, la bibine pas loin, et super beau temps avec ça ; alors, je me disais tout bas à l'oreille : "Les gosses sont tranquilles, ta femme bosse, tu vas bien profiter. Rien faire du tout pour une fois - tu vas le faire consciencieusement, et au soleil."

- Papa, tu nous emmènes au ciné ?

Un coup de canon m'aurait pas fait plus d'effet : mon sang n'a fait qu'un tour.

- Heu, quoi, vous êtes pas bien, là ?... j'étais sonné.

- On s'ennuie papa, on sait pas quoi faire. Les DVD on a tout vu et la télé que tu nous mets, c'est pour les bébés, pas pour nous.

- Et la Nintendo alors ?

- On a plus envie du tout, on veut aller voir Alice et le Lapin, tous les copains ils l'ont vu - c'est super !

- Le dessin animé, "Alice au pays des merveilles", c'est ça ? mais c'est un vieux machin, ça, pour dire, je l'ai vu quand j'avais votre âge, ça vous plaira pas, c'est bête comme tout et...

- Oui papa, c'est celui-là, on veut le voir !

Je me suis dit "- T'auras essayé, mais là, t'es foutu, va falloir y aller."

Alors on y est allés.

Ça faisait une paye que j'avais pas mis le nez au ciné - j'y vais jamais, moi. J'ai de suite vu que c'était pas comme avant : le spectateur a plus un poil d'éducation, faut voir pour le croire ! Et ça tripote les téléphones dans le noir - quand t'en a pas qui sonnent (y sont là pour quoi ?...), et je te grignote ici, et là je te froisse un sac à bonbons, et je quitte pas la casquette ; on est dans une autre époque, le savoir vivre ils l'ont viré - c'est la loi nouvelle et c'est leur loi, faut supporter. Après tout, pour ce que je fais ici, allez, vivement la fin du film, fera encore beau en sortant et la bière attend au frigo. Je te les gave donc de pop-corn (il leur faut ça y parait...) et voilà que ça commence : lumière.

Sûr, quand ils font le noir, t'es comme un gosse, t'as toujours l'émotion - surtout pour celui qui saurait pas qu'il va s'enquiquiner une plombe et plus, enfin...

Ouais, un peu vieux le film, même "remastérisé" que c'est dit au générique... Bien vrai,  plein les feuilles la musique qui couvre les dialogues, pas de doute pour moi, c'est bien "remodernisé". Faut être avec son époque, quoi ; un mauvais moment à passer, c'est pour les enfants - la bonne cause, allez.

Alors, voilà t-il pas que dans les cinq minutes je t'ouvre des cocards plus grands que ceux des gosses au sapin de Décembre : j'avais dû voir ce film d'un œil imbécile ; il y du génie là dedans, et j'avais pas su le voir ! Le lapin avec sa montre qui court partout, et ces deux là qu'arrêtent pas de boire du thé, fadas à en couper les tasses en deux au couteau, comme qui coupe une pomme : dé-li-rant. Du coup j'ose pas trop me marrer devant les enfants qui, eux, s'amusent mais sans plus : un film pour les gosses, mais fait pour les adultes, je regrette pas mon après-midi ! Et tout à l'avenant, la chenille qui crache des lettres de fumée, les bouffeurs d'huîtres (pathétique, ça...), les roses peintes en rouge, la reine qui fait couper les tronches à tout va, le roi tout petit, le chat qui disparait, le procès absurde, bref : je me poile à fond - tout en me retenant de le montrer dans le sonore. Je leur ai dit que ce vieux machin qu'a plus d'un demi-siècle valait rien du tout, maintenant faut assurer : je bloque le zygomatique en position repos alors qu'il veut y aller à fond, et ça fait mal... je serre les dents - faut se comporter en père.

Fini le film, j'en reste pétrifié dans mon fauteuil alors que les gosses sont presque sortis.

- Alors, ça t'a plu papa, qu'elle me dit l'aînée...

- Oui, c'est amusant, j'y dis en me retenant.

- Parce que nous, on est déçus, on s'attendait pas à ça, bof.

- Oui, pas terrible qu'y dit le petit, on comprend pas ce qui leur a plu là-dedans aux copains...

- Ah, voyez, je vous l'avais dit que ça vous plairait pas, que je leur case.

- Et cette robe qu'elle porte Alice, c'est bon pour les bonnes-sœurs ça, tu as vu papa, me dit la grande.

- Vous avez raison, mais la prochaine fois, faut écouter papa, hein ?

On est rentrés ; j'ai retrouvé ma bière sous la tonnelle, toute inondée de la lumière d'or des derniers rayons du soleil, et je l'ai bue lentement en me remémorant les bons moments de ce sacré dessin animé ; et je me suis marré tout seul comme un fou - mon zygomatique était dans une de ces colères !

 

Je crois que je me laisserai plus facilement amener au ciné par les gosses dorénavant...

 

JCP 28 05 2014

Sur "La Petite fabrique d'écriture" :

http://azacamopol.over-blog.com/article-le-cine-j-y-vais-jamais-de-jean-claude-123759574.html

 

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