Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La Chanson Grise
21 juillet 2018

Désaiguillage (0901)

 

Désaiguillage

                                                                                                          À Martine

 

                Le nombre infini des aiguilles que le Temps dépose ici n’est pas des pins, mais de toutes horloges du temps qui viennent mourir en ce sous-bois, et ne connaîtront plus le cadran.

                Le cycle qui vient de s’interrompre affecte les passagers du Temps, et tout se fige dans une chorégraphie de silence, que seul le vent anime encore dans les hauts branchages.

                   Dans un bien-être permanent, nul ne vieillit ni ne meurt mais, de jour en jour, le temps immobile se charge de lassitudes lourdes.

                  Le corps figé n’appelle plus aux plaisirs ni aux besoins de son ancien monde, soient-ils de boire, de contempler (la forêt de pins lasse le regard), de chère ou de chair. La vie ainsi réduite s’affuble d’indécises valeurs, et son intérêt s’érode à l’âme, où le néant s’insinue.

                  Sortir du bois se pense, mais l’idée de vieillir chasse sans cesse cette pensée qui s’obstine...

                 Pourtant, un par un et à pas lents, les passagers de ce voyage hors du Temps sortent du bois, préférant une mort annoncée à la vie sans vie de cette éternité-là.

                  Dans le cri rauque des carillons étouffés sous leurs cendres, le vent a dispersé les aiguilles.

 

 

 JCP 12  04 18

Publicité
Publicité
1 juillet 2018

Souvenirs d'avenir (0907)

 

Souvenirs d’avenir*

                                                                     À Éric Emmanuel Schmitt

 

 

Les fumées qui se dissipent

laissent voir dénudés les relents d’une vie non vécue,

mémoire précieuse d’un avenir volé au temps qui n’est pas encore né.

 

Et comme prise au futur des grottes,

l’eau anime l’horloge inexorable qui claque lentement ses gouttes,

vagissement séculaire d’intention lente qui naît à la roche.

 

Mais le bord de falaise habille le bout du pied d’un frisson de néant,

alors que les fulgurances du temps

ne laissent aux nouveaux nés qu’un avenir mort-né.

 

Et dans cet univers de croissance temporelle incontrôlée,

l’avancée du futur, où veillent des peurs inconnues,

ramène au réel d’un présent qu’il est urgent de vivre.

 

 

* Titre dédié à Éric-Emmanuel Shmitt (« La part de l’autre », réplique de « Onze-Heures-Trente »).

JCP  3-4 mai 2018

4 juin 2018

Secrets de bois (0922)

 

IMG_3695 copie copieCCC

                                                                                                               Toulouse, parc du Boulingrin, ou "Du Grand Rond", im.JCP

                                                                                                             (Boulingrin virnt de l'anglais "bowling green", lieu de jeu de boules sur gazon)

Secrets de bois

 

« - Avoir tout l’or des rois ne me fait pas envie ;

La passion de ma vie, celle pour qui je vis,

Et pour qui, tout tremblant, boire et manger je laisse,

A vous je le confesse : c’est l’amour de la fesse.

 

- Qu’elle soit rude ou molle, mesquine ou généreuse,

Jeune vieille proprette ou mal entretenue,

Je suis amoureux fou de ces globes charnus,

Et mon esprit s’égare à leurs formes nombreuses.

 

- Car voyez-vous je suis - hormis le médecin -

Le seul vers qui l’on tourne et pose le bassin,

Et mon bois qui palpite à la caresse intime

Déroute ma raison sous la fesse sublime !

 

- Ce pour quoi vous, humains, êtes souvent punis,

Je pratique au grand jour l’art du toucher de fesse

Qu’aucune faculté au monde ne professe,

Car étant banc de bois, nul ne sait ma manie. »

 

Ainsi parlait le banc où je m’étais assis,

Lui livrant les secrets de mon anatomie ;

Et je me dis depuis, que fait de cette fibre

Où se porte l’assise, parfois j’aimerais vivre.

 

 

 

 

JCP 04 06 18, pour Les Impromptus Littéraires ; sujet : "Le monologue du banc" :

 

13 mai 2018

Le petit musicien (0904)

 

The_young 680

                                                                                                    Mozart enfant, Heinrich Lössow, château de Linz (détail)

 

Le petit musicien

 

                                  Les deux pieds dans le vide, on l’a juché sur un tabouret plus haut que lui, et il sourit aux angelots joufflus qui soufflent dans leurs longues trompettes. Il est prêt. Il a longuement préparé les notes, il les a toutes dans sa tête, limpides, prêtes à jaillir, et ses trompettes à lui seront plus belles que celles des anges !

                                  Il étend lentement les bras, et le tissu trop lourd de sa jaquette neuve crisse doucement à ses épaules.

Il n’aime pas les vêtements neufs.

Les yeux fermés un moment, il écarte à rompre ses petits doigts impatients, qui s’abattent sur le grand clavier et font vibrer la nef, dans un écho qu’il savoure jusqu’à son extinction. Il laisse le silence glacé de la cathédrale l’envahir, puis relève les bras.

Cet accord tonitruant lui plaît. Il ne jouera pas ce que lui a demandé son Père. Il n’ouvre pas la partition.

Et le visage soudainement grave, il part dans une improvisation fulgurante qui laisse, il le voit tout en bas, l’assistance des quelques familiers béate.

                                  Ce n’est pas cette vieille musique, grinçante et crispée de Bach, ces anciens-là chient* du marbre, c’est SA musique qu’il joue, elle est libre et n’appartient qu’à lui ; et tout se succède au bout de ses doigts, qui courent au clavier plus vite que la pensée ; il ne sait où la musique l’emmène, mais il la suit et ne s’arrête pas !

                                   Et les notes qui naissent là-haut, si haut, tombent sur ses épaules, frisson musical tantôt timide ou caressant, aimable, langoureux ou bien brutal et guerrier, perles évanescentes des fontaines dont le vent se joue, fleuves tranquilles ou torrents impétueux aux cascades tonitruantes qui font vibrer le plancher de l’abside en caisse de violon sans dimensions !

                                   Et toutes ces notes rejoignent en temps voulu le silence de leur extinction, dans cette mort si douce qui ne cesse de faire place à d’autres beautés, bouquet musical aux fleurs toujours renouvelées à l’appel de ses doigts sur le clavier d’ivoire.

                                    A la toute dernière, sa note préférée, peut-être un accord, il ne sait pas encore, il confiera le soin d’abaisser le rideau lourd de cet anéantissement final, naufrage silencieux où flotte en surface, parmi tant d’épaves dispersées, toute l’émotion de la musique qui s’éteint.

                                   Laissant alors courir encore un peu sa main droite sur la dernière variation de flûtes, vite, il amène à lui les deux tirettes de la gauche, lève haut les deux bras, et frappe le clavier de toutes ses forces, dans ce même accord de notes graves qu’il prolonge, celui du début, puis il laisse libre cours à la musique du silence, alors que le souffle des grands tuyaux se dissipe en écho sur les vieux murs.

                                    Ce moment-là, où les mains se séparent du clavier comme à regret, mais ne s’en éloignent pas encore assez pour susciter les applaudissements, est traversé de mille pensées incertaines. Il voudrait prolonger cette sensation troublante ; pourtant, il faut finir. Et le petit musicien qui se sait déjà grand relève lentement ses bras, saute du tabouret, bondit vers la balustrade et salue. Son père approche, et il voit à son sourire retenu, un œil sur la partition fermée que, même en désobéissant, tout était bien.

Il sait que son art doit évoluer, mais il sait aussi qu’aujourd’hui, il vient de faire un grand pas.

 Tout en bas, la nef retentit des applaudissements clairsemés mais vigoureux du petit public d’intimes qu’il entend monter à lui, à pas précipités et sonores par l’escalier de bois.

                                   Mozart, qui n'a pas encore dix ans, se passionnera pour « Le roi des instruments » comme il le nommait, et ne manquera pas d’en jouer. Pourtant, il ne le fait entendre que dans de rares compositions.

 

* On croit savoir que ces mots étaient les siens.

                                                                                                                      

JCP 25-26 04, 11-14 05 2018

8 mai 2018

Jour de pluie (0908)

2108937223_ea59661bdc

 

 

Jour de pluie

 

Un matin noir de pluie,

le rêve à la fenêtre renaît des anciens jours.

Sur la vitre embuée se dessinent du doigt

les motifs enfantins d’une jeunesse enfuie,

nostalgie de la pluie à l’éternel carreau.

 

Élargi de la main, le hublot un peu flou

ne laisse de beautés que d’un monde choisi,

et la pluie qui les hache

vient étoiler la vitre d’éclats de souvenirs.

 

La vision monotone embrasse un pays vague

dont l’image diffuse déroute la pensée,

et dans cet heureux vide

s’infuse à la buée une part de bonheur.

 

 

JCP 05 05 18

Publicité
Publicité
28 avril 2018

Lithophagie (0902)

IMG_8840 copie 680

 

 

Lithophagie

 

                 Indécise et troublante parenté, le bien-voyant lui-même y pourrait voir caillou venu là s’unir à la roche et pourvu d’algue fine : pourtant le galet s’ouvre et délivre à la vue tout un monde vivant humide, salé - comestible.

                 Le geste d’ouvrir, c’est au prix du sang qu’on l’a compris, nécessite la pratique sensée d’une lame épaisse et maltranchante.

                 Le coffre aux délices est tout de nacre constellé, et sa contemplation seule pourrait suffire, mais le plaisir réside en la moitié creuse : il y a là, dans cet appareil mou baignant au reste d’eau, à boire et à manger.

                  De bleu, de vert, de gris, un œil glauque cillé d’un beau noir nous regarde : va-t-on y mordre à vif ?

                  Passé le sursaut d’éthique, on se délecte aux saveurs océanes sans retenue, en appelant derechef au tendre galet de mer (on voit bien qu’il n’en a pas le poli), qu’en nombre on arrache fébrile à la roche.

 

 

JCP 15  04 18

IMG_4830 copie680

9 avril 2018

Les sanglots de la mer (0883)

IMG_4900 c680opie

Plage de Kerhilio, Erdeven, Morbihan

 

 

Les sanglots de la mer

                            La mer, probablement lassée d’un incessant ressac, est venue faire escale sur la plage. Un homme est assis sur la grève encore humide et les eaux, en moutons attentifs, se sont rassemblées tout autour de lui.

Dans cette paix que l’on sait contenue, se devine un moment rare et le vent, couché sur le sable, parle de silence. Quelque chose de doux vibre dans l’air sous le soleil qui se voile, et l’on entend le tintement clair des coquillages brisés, dont la houle fait sable.

Accoudée à sa vague, soudain la mer s’adresse à l’homme médusé :

- A toi seul je le dis : si je suis naviguée, je ne navigue guère, et j’envie les eaux libres, libres de voyager. Les torrents les ruisseaux, les fleuves les rivières dont le cours n’a de cesse, courent joyeux tous continents, ivres des merveilles d’un voyage sans fin. Et parfois m’a-t-on dit, leur cours se multiplie.

Moi seule reste là, bornée de roches, cernée de grèves, aux griffes de l’ennui.

Hors la lente marée, qui de ma robe trousse un peu la couture et mes justes colères, je ne serais qu’eaux mortes, ne sachant rien des terres dont je baigne les bords…

Sous le regard de l’homme attristé, et versant à la vague de longues larmes d’écume blanche, les eaux se retirèrent lentement.

Ainsi parlait la mer.

 

JCP 01 04 18

2 avril 2018

La tectonique des tablettes (0884)

chocolat-3-efcb0

 

La tectonique des tablettes

 

Insidieuse saveur, enthousiasme infini,

Tous ses doigts entachés et tablette finie,

Seul le papier d’alu, qu’elle roule et déroule,

Reste du chocolat, incomestible boule.

 

Et déjà monte en elle, indicibles aigreurs,

Le symptôme hépatique ; elle sait son malheur

Et connaît ses faiblesses : pas plus de trois tablettes,

Ou c’est la maladie qui la tient aux toilettes.

 

Elle le sait pourtant, le chocolat chez soi

C’est se vouloir du mal, l’abîme devant soi ;

Elle avait tout jeté, et voilà qu’on lui offre,

Impossibles amants, de quoi s’emplir le coffre !

 

- Le plaisir maintenant, la douleur au tournant,

L’amour le chocolat, on le voit sont complices :

Souffrance de l’absence ou le foie qui se plisse* ;

C’est dit jusqu’à demain, je n’aurai plus d’amant !

 

 

* Ça fait très mal.

 

JCP 02 04 18 Pour Les Impromptus Littéraires : « Du chocolat ».

17 mars 2018

Au bord du souvenir (0868)

Noël 1965 1 copie

                                                                                                                                                                          Un certain Noël 1965, non loin d'Albi

 

Au bord du souvenir

 

Du souvenir perdu s’élève une fumée :

On voit parmi la cendre des pantins animés  7-6 corriger

Dont les mains me font signe et qui crient à tue-tête.

Ce grand charivari ressemble à une fête,

Où mes amis d’alors, certains perdus de vue,

D’autres perdus de vie, crèvent le temps perdu.

 

Les vins blancs trafiqués, les fumées du tabac,

Les alcools bon marché aigrissaient l’estomac,

Qui d’humeur vengeresse exigeait les toilettes,

Sous l’œil trop indécis des futures conquêtes.

 

Le mental timoré aux volontés du corps,

Parfois la main, le pied, plutôt qu’un mot retors,

Exprimaient sous la table un geste qu’on repousse,

Cul de sac d’un langage que le penchant émousse,  7-6

Présumant d’un futur parfois passé présent,

Parfois dissuadé sur un retour violent.

 

Des sens qui s’éveillaient, auteurs du léger crime,

Nulle ne se plaignait, flattée plus que blessée :

Une main repoussée, une main acceptée ;

Il n’était là qu’un jeu aux atteintes minimes,

Le grand jeu de la vie, qui dit-on rend heureux,

Passe par ces épreuves et s’aventure à deux.

 

La vie qui joue aux dés éloigne ou bien rapproche,

Laisse en vie longuement ou dit à la mort : fauche !

Sentence du hasard qui nous fait ressentir

Ce qu’il faut de présent pour faire un avenir.

 

 

JCP  16-17 03 18

28 février 2018

La quête du brochet (2) (0861)

bigstock-underwater-photo-big-pike-eso-32739506

 

La quête du brochet (2)

 

Tant de fois entendus - rumeur à son oreille -,

Les mérites de l'Eau, « merveille sans pareille »,

Poussèrent un brochet à consacrer sa vie

A rechercher partout le liquide de vie.

 

S’éreintant nuit et jour à son rêve ambitieux,

Il remonta des fleuves, aborda les mers bleues ;

Et parvenant au bout de sa passion maniaque,

Rampant sur les cailloux, il explora les flaques.

 

Ayant passé le monde au fil de son tamis,

Il retourna bredouille auprès de ses amis :

- Je n’ai pas trouvé l’Eau et dépose les armes,

Fit-il tout secoué par le flot de ses larmes.

 

Pourtant ses pleurs séchés, il décrit les splendeurs

Que dispensent les fonds de ces lointains ailleurs ;

Et tout à ces beautés, d’humeur plus satisfaite,

Il se rit à l’échec de l’improbable quête.

 

Un brochet des plus sages, autrefois voyageur,

Empli des nostalgies de son ancien bonheur,

Lui dit : - Ainsi tu vis le monde magnifique :

Fausse rumeur suivie est parfois bénéfique.

 

 

JCP 02 2018  Revu et complété pour Les Impromptus Littéraires

6 mars 2017

0803 Jeux de dieux

 

11Sans titre-1 copie 680 pix

                                                                                                                                                                          Image : comp. JCP

 

Jeux de dieux

 

Les tempêtes venues de la lointaine Orion,

Et le sable amassé par les grands vents solaires

Ont laissé sur Terre de grandes confusions,

Annonçant à l'humain l'extinction de son ère.

 

Le soleil repoussé aux confins de Saturne

N'a plus que la grandeur de l'une de ses lunes,

Et la Terre entraînée par l'astre incandescent

Autour de Jupiter gravite lentement.

 

Le sable sur la Terre a remplacé les eaux,

Et de traces de vie ne restent que des os.

Un ultime arc-en-ciel s'élève sur les dunes,

Et ses couleurs fondues ont des pâleurs de lune.

 

Mais au fond du cosmos des rires retentissent,

Et l'on croit percevoir comme un parfum de vice :

Au mépris des mortels, les Dieux, qui font la fête,

Au grand jeu de la mort pétanquent les planètes.

 

 

JCP 02 2017 

17 février 2017

0781 Avis de néant

 

Avis de néant

 

Au bord du miroir vide, rien ne paraît encore,

Mais le poids du désir d'une nouvelle aurore

Éveille les contours du spectre de l'ennui,

Où va sombrer le jour aux gouffres de la nuit.

 

Dans la paix qui combat aux guerres sans victoire,

Le malaise a grandi, qui nous pousse à tout croire :

L'esprit court la tempête, et sous de vains efforts

Ne voit plus de refuge - les horizons sont morts.

 

Alors comme un aimant réunissant ses pôles,

Au fond du grand miroir se fondent tous les rôles ;

On voit sous des éclairs des étoiles périr,

Et l'homme qui se mire voit son reflet mourir. 

 

 

JCP 26-28 12 2016,  01-02 2017

20 janvier 2017

778 Le souffle retenu

 

Le souffle retenu

 

 

A la porte du vent, un implacable rite

Retient le voyageur sous l'arbre qui s'agite.

Il sait que ce plafond ne lui survivra pas :

Le regard du silence a profané ses pas.

 

Sous le règne évincé des dynasties trop brèves,

Des bouleversements ont dispersé le rêve :

Sur la route élargie vers les clameurs du soir

Il n'est de pierre plate où l'on pourrait s'asseoir.

 

Quelque chose a roulé sur ces rumeurs de fête,

Et la foule éphémère de ces mondes hurlants

Jamais ne ralentit le cours de la comète,

Car nul n'a su frapper à la porte du vent.

 

 

JCP  25 12 16

5 avril 2016

0755 Au salon

 

homme_invisiblepie

 

Au salon

 

Le salon dormait dans la pénombre ;

Et, des persiennes entrebâillées,

Un friselis de soleil et d'ombre

Courait ses entrechats débraillés.

 

Sous le regard d'un très vieux portrait,

Sans cesse un gros frigo ronronnait,

Et l'on sentait à sa pompe lasse

Qu'il peinait à faire de la glace.

 

Les piaillements de quelques moineaux,

Venus des platanes de la place,

Troublaient à peine ce grand repos,

Où languissaient quelques plantes grasses ;

 

En  cette journée aux heures lentes,

Les espaces de silence lourd

Ne révélaient pas de vaine attente

Dans la pièce chaude comme un four.

 

Des relents de tabac, de cuisine,

Et de l'eau laissée dans la bassine

Montraient que l'on vivait en ces lieux,

Mais rien ne s'agitait sous les yeux.

 

Seul le mince filet de fumée

Qui du large fauteuil s'élevait

Trahissait sa présence, et prouvait

Que l'Homme Invisible aimait fumer.

 

JCP  04 2016, pour Les Impromptus Littéraires (utiliser la première ligne comme incipit)

15 mars 2016

451 Dictatorat

ratsanstitre_small copie

 

 

Dictatorat

 

Seigneur du vaste égout dans sa livrée coquette,

Un rat de poil brillant et de mine replète

Arpentait ses couloirs, et d’un air suffisant

Reniflait les effluves de ces flots odorants.

 

- Me voici parvenu au faîte de ma gloire,

Se disait-il radieux ; le manger et le boire

Servis à satiété par des sujets soumis,

Et ma couche habitée de gentilles amies.

Bienheureux comme moi, sans mentir il n’est guère :

J’ai bien fait c’est certain de mener cette guerre.

Car malgré la souffrance et la dévastation,

Mon peuple je le crois, est en admiration

Devant le personnage auguste et vénérable,

Qui mérite en effet ce sort des plus enviables.

 

- Le sang versé s’oublie, demeure le pouvoir.

Mon peuple policé reste sous l’étouffoir,

Et devra pour toujours veiller à mon bien-être,

Acclamant mes discours courbé sous ma fenêtre.

 

Mais porté par les eaux, un murmure lointain

Que grandissaient les murs parvint à son oreille...

- C’est aujourd’hui ma fête, se dit le souverain :

Mon peuple réuni, d’une humeur sans pareille,

N’attend que mon retour pour les grandes agapes,

Et il pressa le pas plus heureux que le Pape,

Riant de ses sujets, qu’il se félicitait

D’avoir comme baudets assujettis à souhait.

 

Mais la rumeur pourtant, qui grandissait sans cesse

En clameur menaçante, n'avait rien de joyeux ;

Sans affoler pourtant ce Sire prétentieux,

Qui restait convaincu d’un élan de liesse.

 

Il n’eut le temps de fuir qu’il était piétiné,

Roué de coups percé et mille fois tué.

Grand nombre de despotes souvent ainsi finissent,

Croyant de leur pouvoir toujours boire au calice.

 

 

27 07 11 - revu 03 2016

Et sur Les Impromptus Littéraires :

http://impromptuslitteraires.blogspot.fr/2016/03/jcp-animal.html

8 novembre 2015

Les yeux fermés

 

Les yeux fermés 

 

Comme une houle sonore à l'invisible flot

dont le flux et le reflux

semblent porter tour à tour

l'oreille et le corps vers de vagues lointains,

la terrasse du grand café

respire au vent du large

des grèves citadines.

 

 

JCP 08 11 15  07 11 15 par une chaude soirée de novembre, au Florida (Toulouse)

1 juillet 2015

704 Plume aux vents

 

59329986l-2c3ce30ea621420d92cea4ebb2b449b0-jpg copie

 

Plume aux vents

 

                                                       Il était une plume à la main rageuse d'un poseur de mots sans talent qui, se croyant écrivain, écrivait, mais n'écrivait que des écrits vains que nul autre que lui ne lisait.

Inlassable malgré son pauvre trait, celui-ci griffonnait des mots enfiévrés qu'il biffait aussitôt ; et la plume au supplice se rappelait l'aile des oies, le vertige des airs et le souffle des vents qu'elle connut autrefois.

Et sous la triste poussière du bureau sans luxe, la souillure du flot noir et l'incessante flexion de sa pointe sous le doigt brutal, la malheureuse diluait de ses pleurs une encre toujours plus claire - que le traceur impénitent renouvelait surpris.

Un jour par la fenêtre ouverte, saisi de pitié, un vent de sud qui passait l'emmena compatissant vers les contrées bénies où, dit-on, les mots ne s'écrivent pas ; et la plume, enfin apaisée, connut le bonheur à jamais.

Aussi vous qui voyez, baignant à l'encre immonde ou sur le trottoir des villes abandonnée une plume pleurer, d'une main généreuse et délicate, déposez-la sur l'aile du vent.

 

JCP 06 15  Pour les Impromptus Littéraires :

http://impromptuslitteraires.blogspot.fr/2015/07/jcp-ecrire.html

 

15 juin 2015

689 Incertitudes aériennes

IMG_9169 copie

Image : JCP réalisée sans truquage

 

Incertitudes aériennes

(et baudelairiennes)

 

Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage

Délaissent à loisir pour un temps le voyage,

Et chassent en buvant leurs peines leurs tourments,

Les commandes de vol oubliées un moment.

 

Alors dans la cabine on déploie les lampions,

On danse on chante on rit, on laisse aller l'avion,

Libre de ses ébats aux traces incertaines :

Qu'importe le trajet, Dunkerque ou mer Caspienne...

 

Vous qui ne doutez pas du sérieux des pilotes,

Tous passagers heureux parvenus à bon port

Au terme d'un parcours que vous croyez sans faute,

Sachez qu'à votre insu on rit de votre sort.

 

 

JCP 05 2015 (premier vers emprunté bien sûr à "l'albatros" - de qui vous savez)

1 mai 2015

Chez l'antique hère (669)

ANTIC

 

Chez l'antique hère

 

On voyait chez Li Wan

antique vieux forban

parmi tant de broutilles :

un poêle et des lentilles,

un vieux croûton rongé

et des chevau-légers,

un bonheur commencé

des idées mal pensées,

deux dimanches-matin

et trois lundis éteints.

 

Un bon kilo d'oignons

parmi les porte-avions

et chose des plus rares :

un grand seau de curare.

 

Un peu d'air comprimé

qu'on avait libéré

un lit trois matelas

sur un chariot à bras,

un litre de virgules

et quelques pédoncules.

 

Le vieux trou d'une poupe

un peu de bonne soupe ;

devant l'armoire à glace

un mort de guerre lasse

et deux aviateurs

à voile et à vapeur.

 

Bric-à-brac infernal,

un thermomètre anal

un gros tuyau de gaz -

et même Yvon Gattaz.

 

Enfin les trois lutins

s'étaient levés matin

pour nous dire qu'on sorte

en refermant la porte.

 

JCP 05 15 Pour les Impromptus Littéraires : "Inventaire farfelu".

Dans son contexte :

http://impromptuslitteraires.blogspot.fr/2015/05/jcp-linventaire-farfelu.html

26 février 2015

Oculant le smartphone

femme-telephone2

Oculant le smartphone

 

Jamais hélas tes beaux yeux d'amazone

Autant d'amour ne montreront

Ni dans les miens ne plongeront

Comme à l'heureux écran de ton smartphone.

 

JCP 11 2014 - 02 2015

Publicité
Publicité
<< < 1 2 3 4 5 6 7 8 9 > >>
Newsletter
Publicité
Archives
Publicité